Merzak Allouache : "Je voulais raconter l'amnésie"

Publié le 10 Avril 2013

C'est bravant le vent et la tempête que j'avais rencontré Merzak Allouache en mai dernier lors du dernier festival de Cannes pendant lequel était présenté son long-métrage choc, Le Repenti. Reparti avec le prix Europa Cinema de la Quinzaine des réalisateurs, son film synthétise toutes les blessures d'une Algérie encore souffrante. Entre amour et colère, le réalisateur m'avait parlé de son attachement à son pays et à son art.

A t-il été difficile de monter votre film en Algérie, avez-vous rencontré des obstacles vous a t-on mis des bâtons dans les roues ?

Difficile et pas difficile. Disons que financièrement oui ça l’a été parce que je n’ai eu aucune aide du ministère. J'avais soumis le scénario à une commission et le mien a été donc refusé, je me suis alors retrouvé avec un budget plutôt ric-rac. On a malgré tout décidé de le tourner avec une petite équipe et ces quelques acteurs qui sont partis avec une petite caméra, trois voitures et on a fait le travail. Comme on était en dehors d’Alger, dans cette région des hauts plateaux, les gens étaient très sympas avec nous, très accueillants etc, je n’ai pas senti la difficulté. Le seul truc c’est que il fallait vraiment, que par rapport au financement qu’on avait, on tourne très vite, donc on a fait ce film en 20 jours seulement avec caméra portée, caméra épaule, en tournant plusieurs séquences par jour donc on a pas compté les heures supplémentaires c’est sûr ! Le film s’est finalement fait dans les temps, comme je l’avais imaginé.

Justement au niveau des acteurs, a t-il été difficile d’en trouver qui veuillent faire parti d’un projet qui aborde un sujet si controversé en Algérie ?

Ah non pas du tout, ils étaient tous très partants. Ils avaient déjà travaillé avec moi et ils font partie d’une génération de jeunes acteurs qui s’impliquent, celui qui joue le rôle du mari est aussi un jeune réalisateur qui a fait des courts-métrages et va passer au long là, l’actrice fait également du théâtre. Ils font partie d’une génération de fonceurs qui ont envie de faire des choses, de faire bouger les choses.

Votre film ne condamne pas vraiment ce repenti, il est finalement montré comme une autre victime lui aussi. Est-ce ce que vous vouliez dire ?

Oui il est victime. Mon film travaille sur trois victimes, c’est-à-dire qu’il y a la principale victime, celle qu’on ne voit pas, dont on entend parler dans tout le film, il y a ce couple et il y a ce jeune avec ce regard halluciné, un jeune un peu lobotomisé, qui est là et qui arrive tout de même à ressentir des choses, il montre que c’est un être humain. Pour moi ils sont tous les trois tout autant victimes, c’est pour ça que je fais de nombreux gros plans sur les mains des trois personnages, je les montre tous les trois dans leur malheur. Ce jeune repenti est dans un engrenage de violence de malheur, de souffrance, il essaye à s’en sortir à sa manière, même si elle est abjecte, mais il essaye vraiment de s’en sortir.

Est-ce ce que vous vouliez dire, que finalement personne n’est foncièrement mauvais, que ce ne sont pas les personnes qui sont fautives, mais les situations, l’environnement ?

Oui tout à fait, c’est un environnement, personne n’est vraiment mauvais naturellement. Mais les conjonctures ont fait que nous sommes entrés brusquement, en Algérie, dans une période de turbulences très grave, de violence, dans les années 90 « la décennie noire », pendant laquelle beaucoup de gens ont été obligés d’être impliqués, malgré eux, comme bourreaux ou victimes. On est entré dans un cycle infernal et ces gens n’étaient pas spécialement préparé, prédisposés à ça .

Vous parlez de cycle infernal, le film donne l’impression d’avoir une structure cyclique, au début le Repenti rentre chez lui, la famille est recomposée et à la fin c’est la destruction de cet espace familial. L’avez-vous pensé comme ça ?

Oui complètement, c’est-à-dire qu’on voyage vers la mort. On sent aussi que la voiture les mène à ça. C’est un film sur la mort.

Pensez-vous que le printemps arabe soit un pas vers le changement ? Quel est votre regard sur ces événements ?

Ecoutez je ne sais pas, mais l’Algérie n’est pas vraiment concerné par ce qui s’est passé dans les autres pays, les algériens disent que eux ont déjà donné. Ils ont connu une très forte violence et une illusion de changement, qui n’était justement qu’une illusion. Ils sont un peu en ce moment dans le statut quo, ils observent, regardent ce qu’il se passent autour d’eux.

Ils sont résignés vous pensez ?

Oui parce que pendant cette décennie noire en Algérie, cette violence extrême, les autres pays arabes observaient sans intervenir en se disant « il y a cette violence en Algérie parce que c’est dans la nature de ces gens, ce sont des barbares ou autre chose ». En Algérie on a beaucoup souffert de cette mise à l’écart et aujourd’hui ce phénomène de l’islmamisme politique, de l’intolérance s’est élargi à tous les pays arabes.

Dans votre précédent film Normal !, vous montriez les difficultés de jeunes artistes à monter des projets en Algérie, à cause de cet islmamisme ou encore du conservatisme du gouvernement. Est-ce que pour vous être cinéaste et artiste en générale, en Algérie aujourd’hui, c’est être forcément engagé, militant ?

Oui je pense qu’il y a une espèce de devoir d’engagement, dans le sens où effectivement un jeune cinéaste ou un homme de théâtre ne peut pas raconter une histoire d’amour tout simplement. Je pense qu'un cinéaste italien n’a pas ce problème, il peut raconter une histoire d’amour dans un environnement apaisé. En Europe, on sait bien que les sujets sociaux, les sujets controversés sont de plus en plus présents dans les films. En France, il y a quelques années encore, il y avait un côté un peu film engagé égal film ringard, maintenant ça a changé et je pense que effectivement tourner un film en Algérie aujourd’hui sans regarder ce qu’il se passe dans la société ce n’est pas pertinent.

Pensez-vous que c’est par l’art en général et le cinéma en particulier que ces questions sociales pourront évoluer ?

Bah écoutez j’espère ! J’espère que mon film peut faire bouger les choses mais le problème c’est qu’en Algérie on a très peu de salles de cinéma, donc les films mettent du temps à être vus, car ils ne sont pas vus comme films de cinéma, mais très souvent comme DVD pirates. Quand je rencontre des gens, ils me disent « tu as tourné un film ? Quand sort le DVD pirate ? », donc le passage par la salle est vraiment très réduit, il y a beaucoup de villes qui n’en n’ont pas, on en avait 360, aujourd’hui il doit y en avoir une dizaine dans tout le pays. On parle tout de même de réfection de salles, de réouvertures, mais rien ne vient vraiment, ça prend du temps. Ce qui a disparu c’est tout le côté, regarder un film sur un écran de cinéma, puis la rencontre dans les salles, donc moi je me retrouve à voir mes films sortir sans avoir pu en discuter sans avoir pu faire des débats autour, alors qu’avant il y avait des ciné clubs par exemple. Il y a quand même des choses qui essaient de se mettre en place, des gens qui s’organisent, mon film Normal ! je l’ai présenté dans un ciné club à Alger et ça s’est très bien passé. Ce film là je pense que je vais le présenter dans le cadre des journées cinématographiques de Bejaia, un petite ville, qui fait un travail avec les jeunes, des ateliers, des rencontres, tout un travail sur un cinéma un peu engagé.

Votre film est également construit comme un thriller. Vouliez-vous explorer le genre en conservant le doute jusqu’à la fin ?

Oui c’est vrai il y a un mystère qui est entretenu. Je n’ai pas voulu faire un thriller, mais je voulais que l’on ressente une tension et la maintenir jusqu’à la fin, parce que tout ce qui arrive crée cette tension entre les personnages et en même temps il n’y a pas beaucoup de dialogues, il y aussi un travail sur le silence. C’est pour ça que ça peut être perçu comme un thriller.

Pourquoi avoir choisi cette forme là pour ce sujet ?

Et bien parce que cette forme renvoie à ce que je veux raconter c’est-à-dire l’amnésie et l’amnésie c’est le silence, l’amnésie c’est le refus d’aborder les problèmes. Il faut oublier. Moi à chaque fois que j’ai une discussion qui s’amorce dans le film, je l’ai interrompue, on n’a aucun explication, parce que moi-même je n’en n’ai pas. Je reste au niveau de l’interrogation dans le film.

Quelle est la chose que vous souhaiteriez que le spectateur emporte avec lui à la fin du film ?

Et bien d’abord l’idée des méfaits de la violence aveugle. Je pense qu’on ressort avec ce choc et c’est ça que j’attends, parce que je veux montrer le côté choquant de la violence.

Quels sont vos projets après ce long-métrage ?

Je vais essayer de faire un autre film, je suis un peu dans la réflexion en ce moment. On verra !

Merzak Allouache : "Je voulais raconter l'amnésie"

Rédigé par Kamille

Publié dans #Interview, #MerzakAllouache, #Le Repenti

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